Mort du CERC : la fin de l'expertise indépendante
Avec la mort du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc), c'est encore un lieu d'expertise publique indépendante qui disparaît. Ne subsistent plus que des instituts très universitaires ou au service du pouvoir. Pourtant, les graves problèmes sociaux que nous subissons nécessiteraient d'être mieux connus.
En 1993, Edouard Balladur en avait rêvé. En 2010, Nicolas Sarkozy l'a fait : dans le silence général, le pouvoir a supprimé de facto le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC). Le Centre d'études des revenus et des coûts - c'était ce que le sigle Cerc désignait à l'origine - avait été
créé en 1967 par le général de Gaulle suite à la proposition d'un comité chargé de réfléchir à ce que pourrait être une politique des revenus en France. [...]
La mission de ce premier Cerc : établir périodiquement un état des lieux précis en matière d'évolution des revenus d'activité, financiers et sociaux, ainsi que de la productivité (d'où le terme «coûts»), afin de mettre en lumière les disparités ou les inégalités qui pouvaient exister dans ce domaine. L'organisme publiait des rapports très documentés, qui suscitaient parfois des grincements de dents du côté de nos dirigeants, de gauche (Pierre Bérégovoy), comme de droite (Jacques Chirac). [...]
J'y ai travaillé jusqu'à fin 2007 et je crois vraiment que le Conseil et l'équipe des rapporteurs ont fait un travail utile sur la pauvreté, l'insécurité de l'emploi ou l'insertion des jeunes.
Ce n'est cependant pas la nostalgie qui me pousse à évoquer le CERC, mais l'écœurement. Car
le mandat de Jacques Delors et celui des membres du Conseil sont arrivés à expiration en juillet 2008. Le rapporteur général, touché par la limite d'âge, n'est plus en poste et les rapporteurs sont partis les uns après les autres au terme de leur engagement, sans que quiconque les remplace. Seules restent deux documentalistes pour effectuer une remarquable veille internationale sur les questions d'emploi, de pauvreté, de revenu[1]..
Le gouvernement n'a pas bougé le petit doigt, malgré plusieurs démarches de Jacques Delors pour qu'un successeur soit désigné. Car c'est à l'Elysée que ce genre de décisions se prend. Et le silence assourdissant de la presse montre que c'était la bonne méthode pour faire disparaître sans vague un lieu d'expertise qui dressait, sur les thèmes dont il se saisissait, des constats détaillés et sans complaisance, qui pointait les incohérences ou les insuffisances des politiques publiques et avançait des propositions très argumentées.
Les lieux d'expertise publique indépendante approfondie disparaissent. Ils ne publient plus que des rapports de facture universitaire que le gouvernement ignore (Conseil d'analyse économique), sont transformés en organismes
au service d'une personne (Conseil d'analyse de la société)
ou du pouvoir grâce à la nomination à leur tête de militants UMP (Conseil d'orientation de l'emploi, Centre d'analyse stratégique). C'est le signe d'une grave confusion entre légitimité tirée de la compétence et légitimité politique tirée de l'élection (ou de la candidature à l'élection) qui tend à faire de l'analyse sociale un sous-produit de l'engagement partisan. Du coup, alors que notre République est confrontée à des problèmes sociaux d'ampleur, des futilités occupent le devant de la scène médiatique - de la burka au dérapage verbal d'un personnage qui n'en est pas à son premier. Elles permettent d'éviter d'avoir à
s'interroger sur le délitement de la cohésion sociale. Mais la politique de l'édredon pratiquée par le pouvoir pour faire taire sans bruit un organisme gênant est manifestement efficace, puisque nul n'en dit mot.
Denis Clerc, fondateur d'
Alternatives Economiqueswww.alternatives-economiques.fr/disparition-du-cerc_fr_art_633_48107.htmlwww.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=8