Coup de théâtre à l’Odéon Manif. Hier à Paris, quelque 150 représentants de la scène française exprimaient leurs inquiétudes face à la politique culturelle du gouvernement. Claude Régy rougit de colère. Sa voix, ses mains en tremblent. Il raconte une réunion dans les bureaux du ministère de la Culture en quête d’économies : «Ils m’ont conseillé de prendre ma retraite. "Vous pourrez continuer à travailler", ont-ils ajouté. On m’a même donné des conseils artistiques, conseillé de ne pas accompagner mes spectacles en tournée. Et là, ça ne va pas, cela concerne l’artistique. Il est hors de question que le ministère intervienne sur ma manière de faire.»
C’était hier matin sur la scène du Théâtre de l’Odéon, dirigé par Olivier Py. Plus de 150 personnes, metteurs en scène pour la plupart, comédiens, auteurs, chorégraphes aussi, s’étaient donné rendez-vous dans ce théâtre national emblématique, lié à 68. Cela à deux jours de la manifestation nationale de vendredi, à l’appel de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (UFISC). Incroyable et jusqu’à hier improbable photo de famille, où les plus jeunes ou les plus démunis côtoyaient les pointures du théâtre vivant : Jean-Pierre Vincent, Alfredo Arias, Ariane Mnouchkine, Patrice Chéreau.
Triple pression. «On tend à nous diviser et nous avons tendance nous-même à le faire. Mais nous sommes tous là aujourd’hui, a dit Jean-Pierre Vincent. Nous sommes liés économiquement, nous formons une vaste coproduction.» Aujourd’hui, quasiment plus aucun théâtre n’a les moyens de s’engager seul dans une production.
La colère dans les prises de parole ne se cachait pas derrière un discours préparé et policé. Ce rendez-vous s’est improvisé en trois jours, à coup de SMS et de mails. Arnaud Meunier, directeur de la compagnie la Mauvaise Graine, a rappelé la situation financière : «Notre profession subit une triple pression. Celle de "l’érosion mécanique" des budgets des institutions, qui ne sont pas (à l’exception des cinq théâtres nationaux) indexés sur l’inflation ; celle de la future convention collective, qui coûtera plus cher aux employeurs ; celle de l’aberration de l’indemnisation chômage des artistes et des techniciens.»
Le gel de précaution de 6 % pour les budgets 2008 du spectacle vivant a en partie été appliqué. Le dégel annoncé de 35 millions n’a pas été total, la moitié des crédits ayant déjà été utilisés pour rembourser les dettes d’investissement de l’Etat et ses crédits de cofinancement européen.
«Air malsain». Les compagnies ont de plus en plus de difficulté à maintenir leur activité. Elles subissent le contrecoup de l’affaiblissement des capacités artistiques des institutions et elles voient leur subvention diminuer, 4 % au minimum pour les compagnies franciliennes, 6 % pour celles directement gérées par le ministère de la Culture.
Didier Bezace (directeur du Théâtre de la commune à Aubervilliers) relit régulièrement l’article 1 du contrat qui lie son théâtre à l’Etat : «C’est fabuleux, on me demande d’être ambitieux et cela me convient. Je signe. Mais là où cela ne va plus, c’est que je n’ai plus les moyens d’assurer cette ambition. Nous ne sommes pas dans une époque de contrats, mais de rupture de contrats.» Et d’ajouter: «On respire un air malsain. J’ai lu une chronique dans un hebdo. Le journaliste y écrit qu’aller au restaurant c’est mieux que de bailler dans un théâtre.»
Ariane Mnouchkine, assise dans la salle au côté de Patrice Chéreau, est allée dans le même sens : «Une part des Français ne nous comprend pas, nous voit comme des privilégiés. Nous n’avons de chance que si nous arrivons à nous faire comprendre. J’aimerais que le public soit là. Nous tenons encore une réunion corporatiste, qu’on le veuille ou non. Nous n’avons que faire d’une victoire à la chauffeurs de taxis. Je ne crois pas aux entretiens de Valois. Il n’en faut pas beaucoup pour nous diviser. Albanel a été mise là pour ne rien faire, c’est très grave. On fait comme si ce gouvernement était normal, mais on a un gouvernement anormal. Il faudrait signer une charte entre les citoyens et les artistes.» Et peut-être rappeler qu’il y a plus de 20 millions de spectateurs par an pour le spectacle vivant (3,5 millions pour les Centres dramatiques nationaux), 69 500 représentations, et que le nombre d’emplois dans ce secteur équivaut à celui de certains secteurs industriels.
Le rendez-vous de l’Odéon pourrait peut-être se révéler plus efficace que les entretiens de Valois, dont on ne connaît d’ailleurs pas encore l’issue. En juin, lorsque ceux-ci s’achèveront, Christine Albanel, qui les a initiés, sera-t-elle encore ministre de la Culture ?
Didier Bezace parla, en citant Jean Vilar, du «mariage cruel» avec les tutelles. Union pour le meilleur et aujourd’hui surtout pour le pire. Et citant Victor Hugo : «Ce sont de bien maigres économies pour de bien grands dégâts.»
MARIE-CHRISTINE VERNAY
http://www.liberation.fr/culture/312571.FR.php Enfin !
Bien fait ! les metteurs en scène directeurs d'institution ont eu du mal à soulever un orteil pour défendre les intermittents. Ils pensaient (?) quoi ? que la machine s'arrêterait par miracle avant de leur passer dessus ? avec qui comptaient-ils travailler ? quelles matières premières quand plus de comédiens plus de pépinières d'artistes et de techniciens, quelle matière future ? on les touche perso au porte-monnaie, la réaction est plus rapide ! c'est avant qu'il fallait crier, maintenant ils peuvent gémir.
bibi
Jeudi 28 Février 2008