Du processus de Bologne à la L.R.U., une catastrophe annoncéePar Geneviève Azam, maître de conférences en économie, université Toulouse 2, communication du 23 mars 2009 (
Vidéo).
Transcription de la conférenceQui décide au final ? les politiques publiques ou des entreprises commerciales ? Le savoir est-il un produit comme un autre ? Qu'est-ce qu'être efficace ?
I. Processus de Bologne et globalisationNe pas confondre la stratégie de Lisbonne (2000) et le Traité de Lisbonne.
Processus de Bologne (1999) : ce qui est annoncé comme "
Harmonisation" & "
Réglementation" est en fait une pièce de la globalisation -néo-libéralisme économique- qui conduit à un nivellement auquel participe un recul du système d'autonomie et de recherche.
Jusqu'en 1970 -débuté fin XIXème siècle "Etat social"- il y avait une inscription sociale du pouvoir économique par un système de règles -1945 : "Etat providence"-. Le néo-libéralisme (1980) tend donc à se dégager de ces "contraintes". On assiste plutôt à une
harmonisation des règles néo-libérales -une forme de déréglementation, notamment en matière d'éducation-, plutôt que des diplômes... : mobilité, efficacité, concurrence... au service d'une loi du marché présentée comme incontournable -mondialisation-.
Il n'y a eu aucun débat public pour élaborer le processus de Bologne.
II. Régression de la raison à l'utilité [12' ]
La connaissance en tant que facteur d'émancipation devrait s'effacer pour s'adapter aux contingences économiques : ce qui est utile devient ce qui peut rapporter du profit -discours utilitariste-. L'émancipation cède la place à l'adaptation.
III. Gouvernance et obscurantisme [14']
Dissolution des termes de pouvoir, gouvernement, politique... : disparition du pouvoir, c'est la fin de l'histoire ; il faudrait répondre à des
forces anonymes qui auraient des facultés d'auto-régulation. Le pouvoir est de plus en plus difficile à identifier, ce qui réduit les contre-pouvoirs -qui est à la base des systèmes totalitaires-. Dans ce modèle international, les différences sont nivelées, les échanges réduits au plus petit dénominateur commun : la concurrence généralisée sous les auspices de la rentabilité économique.
IV. Les acteurs du processus [18'30]
Comment le processus de Bologne s'est-il construit ? qui en sont les acteurs ?
Pourquoi le terme "processus" ? ce n'est pas un "traité", une "loi", une "règle"... le "processus" est plus difficilement identifiable.
En 1999, 29 pays signent ce processus, puis il est revu à Prague 2 ans plus tard par 32 pays : à quoi correspond 29 ou 32 pays ? à aucun ensemble déterminé ! 29, c'est plus que l'Union européenne, et 32, moins que ce que regroupe le Conseil de l'Europe. Il s'agit donc en fait d'une rencontre informelle entre ministres de l'éducation
se soustrayant ainsi à tout débat public.
(tout ce qui est dit ici a été largement analysé il y a 10ans -rien de vraiment nouveau- mais le recul permet de pointer un peu mieux ce qui a été déterminant)
1. ERTL'acteur principal est la "table ronde des industriels européens"[ERT -European Round Table- :
www.ert.be ]. LE
lobby industriel européen le plus puissant, qui écrit et influence beaucoup de rapports de la commission européenne -pouvoir législatif européen-.
Créé en
1983, l'ERT comprend 47 des plus grandes firmes européennes : Total, Elf, Carrefour... . Elles écrivent un rapport en 1989 qui s'appelle "Education et compétences en Europe" : à partir de ce moment-là
on ne parlera plus des savoirs mais des compétences.
Extrait :
"L'éducation et la formation sont considérées comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite future de l'entreprise. Les enseignants n'ont qu'une compréhension insuffisante de l'environnement économique des affaires et de la notion de profit. Ainsi il s'agira de valoriser l'enseignement à distance. ..." En
1991, nouveau rapport de l'ERT : "
Une université ouverte est une entreprise industrielle et l'enseignement à distance est une industrie nouvelle."
Six mois plus tard la commission européenne publie un livre blanc -centré sur la formation tout au long de la vie- dans lequel apparaissent les termes d'"employabilité", "flexibilité" et "mobilité" pour les enseignants : termes clés du processus de Bologne.
1995 nouveau rapport : "vers la société d'apprentissage".
"L'éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique. Les gouvernements nationaux devraient envisager l'éducation comme un processus s'étendant du berceau au tombeau." D'où l'idée reprise par tous les gouvernements de "l'éducation tout au long de la vie". Du coup la Commission européenne a sorti un nouveau livre blanc centré sur la formation tout au long de la vie : apprendre et enseigner, vers la société cognitive" -co-signé par Edith CRESSON, à l'époque commissaire européenne-.
2. OCDE [25']
2ème acteur important : l'OCDE, qui regroupe l'ensemble des pays les plus riches du monde -
www.oecd.org/home/0,3305,fr_2649_201185_1_1_1_1_1,00.html -.
1998 rapport : "
les enseignants ne sont pas indispensables à la formation tout au long de la vie, des prestataires de service éducatif feront l'affaire."
1998 Rapport Reyfer de la commission européenne : "Le temps de l'éducation hors école est venu et la libération du processus éducatif aboutira à un contrôle par des
offreurs d'éducation plus innovants que les structures traditionnelles."
+ l'
UNESCO a aussi servi ce processus de Bologne
3. Recteurs d'Université3ème acteur : les recteurs d'Université. Trouvaille de la bonne gouvernance : intégrer les acteurs.
Entre 1999 et 2005 les réformes dans les universités n'ont pas fait de vague...
1998 : réunion de tous les recteurs d'université européens pour
l'anniversaire de la création de l'Université de Bologne -extrêmement ancienne et prestigieuse- : signature d'une magna charte où sont réaffirmés, dans un mélange cependant inquiétant, les grands principes du côté humaniste, le côté bien public de l'éducation, l'autonomie éducative et de la recherche. Mais dans le même temps ré-émergent les notions d'"employabilité", de "flexibilité"... On n'a pas encore fait le saut mais on commence déjà à rechercher les voies d'adaptation.
Ces recteurs appartiennent à l'
Association Européenne des Universités (1) qui a eu un rôle essentiel dans le processus de Bologne : il s'agit d'adapter l'Université à la société... Le
chômage serait un indicateur du mauvais fonctionnement de l'Université ; et la société réduite à son espace économique. Bien sûr l'Université doit s'adapter aux besoins de la société, mais de quelle société ? Certainement pas à une société réduite à une logique économique !
1998 en France rapport Attali -
http://guilde.jeunes-chercheurs.org/Reflexions/Documents/1998-attali.html - sur les pôles d'excellence et la compétitivité des universités françaises.
[34']
Et dans le même temps une réunion à la Sorbonne a donné lieu à ce qu'on appelle la "
déclaration de la Sorbonne" signée par la France, l'Italie, la Grande-Bretagne et l'Allemagne et leur ministre de l'éducation : apparaît la nécessité de créer un espace européen de la connaissance, faisant émerger le thème de
l'économie de la connaissance -ce qui implique que la connaissance devient un bien économique !-.
Pour qu'un bien soit économique, il faut qu'il soit un bien
rare et pas gratuit... Or, la connaissance est un bien très particulier, voire anti-économique : si je donne un objet à quelqu'un, je ne l'ai plus -base de l'échange économique-, alors que lorsqu'on donne de la connaissance, on garde cette connaissance. Et plus elle est donnée et circule, plus elle s'accroît. La connaissance est bien caractérisée par l'abondance. Et pour y mettre de la rareté, il va falloir l'encadrer par les
droits de propriété intellectuelle. Cependant les brevets existent depuis le XIXe siècle. Jusqu'aux années 1980, ils portaient essentiellement sur des innovations. Les nouveaux droits portent désormais sur le champ de la connaissance lui-même. Pour qu'il y ait un capital de la connaissance, il faut instaurer la propriété intellectuelle.
Il est navrant de constater que de droite comme de gauche on puisse se féliciter de cette évolution, laissant croire que cette économie de la connaissance nous permettrait de sortir de la crise : c'est vraiment prendre des vessies pour des lanternes. L'économie de la connaissance, c'est la soumission de la connaissance aux lois de la rationalité économique.
4. OMC [39'30]
4ème acteur : l'Organisation Mondiale du Commerce -
www.wto.org - avec en particulier l'"Accord Général sur le Commerce des Services" (
AGCS, 1994) -
www.wto.org/french/tratop_f/serv_f/gatsintr_f.htm -. (L'Union Européenne a eu un rôle crucial dans la libéralisation du commerce des services. Rappelons que l'UE est le premier exportateur mondial dans ce domaine.)
Dans ce processus il s'agit -article 1- d'élever le niveau de
libéralisation de tous les services dans tous les domaines, sauf ceux qui sont produits dans le cadre de l'exercice gouvernemental, cad la fonction régalienne -police, justice, défense nationale-. Mais sont compris les services qui ne sont pas fournis sur une base commerciale mais qui sont en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de service : par là-même l'éducation rentre dans le cadre imposé par l'AGCS.
Le propre de ces textes néo-libéraux, c'est le niveau d'abstraction élevé, plutôt flou quant aux applications mais présentant une direction clairement identifiée : la libéralisation des commerces de services.
5. LOLFDernier acteur important : (ATOSS, Bi ATOSS) la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances), cad la réforme du management public -problème de l'efficacité des services publics-. Se met en place l'idée qu'un bien public n'est pas obligatoirement fourni par un service public : sous l'euphémisme "
partenariat public-privé" il s'agit en fait d'une soumission du public aux règles du privé -logique managériale- que l'on retrouve dans la réforme de tous les services publics et des administrations.
Ces sous-traitances -c'est tout le problème des ATOSS, bi-ATOSS- réduisent l'éducation à une vision de l'enseignement -qui peut même se dissoudre dans l'enseignement à distance-, ne tendent qu'à réduire la communauté éducative -entretien, personnels de bibliothèques, référents réseaux informatique...- pour mieux la disloquer.
Même chose pour le processus de construction de l'Agence Nationale de la Recherche : c'est une énorme bureaucratie qui pourrait s'apparenter à une "soviétisation" du management. Il y a une mainmise du politique sur l'éducation pour qu'elle se mette en conformité avec le monde de l'entreprise.
V. L.R.U. la bonne université [48'10]
Avec la L.R.U. (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités), on ne parle quasiment plus de savoirs mais de
compétences. Concevoir la formation comme une accumulation de crédits -les fameux
ECTS (
European Credits Transfer System)- c'est une aberration éducative, puisque ça laisse penser que la formation, c'est la juxtaposition de compétences : un peu de ci, un peu de ça ... On perd en vision globale, qui permet à la fois une mise à distance et une possible critique mais aussi une meilleure adaptation à des changements rapides. L'unité de/qui compte -indispensable à la création d'un marché- sur le marché mondial de l'éducation, c'est l'ECTS -avec aussi l'individualisation des parcours...-.
La L.R.U. a été conçue dans une époque de grande frénésie financière -qui aurait le pouvoir de s'auto-réguler-, un enthousiasme pour l'ouverture d'un marché novateur dans lequel s'inscrit la Loi sur l'Autonomie
financière des Universités, et il faut redire que cette loi implique une autonomie FINANCIERE qui va
à l'encontre de l'autonomie pleine et entière des Universités : c'est la soumission de l'Université à la loi du marché !
Mais cette loi est manifestement insuffisante pour promouvoir la compétitivité des Universités sur le marché mondial. Il va falloir choisir nos matières premières ! Il s'agira de sélectionner le niveau de
rentabilité des savoirs et des étudiants !! Voir la théorie du capital humain : l'éducation est un
investissement. Ce qui revient également à dire que
l'égalitarisme serait contraire à l'idée de justice.
VI. Capitalisme néolibéral : l'effondrement [57'50]
Les conséquences financières ne peuvent encore être appréhendées, c'est toute cette idéologie qui est en crise. Ce sont les résultats de politiques mises en œuvre depuis 30 ans. On ne peut plus raisonner sur les bases des acteurs du processus de Bologne et même plus raisonner comme il y a 2 ou 3 ans. Il faut vraiment s'adapter à une situation changeante et non se contenter d'une vision à très court terme, qui justifierait une fuite en avant en poursuivant ce processus. Une autre alternative serait de
saisir l'occasion de cette crise pour réaffirmer d'autres valeurs que celles qui nous ont conduits à cette dégradation non seulement financière mais tout autant sociale ou politique. Le devoir de service public et d'enseignant est d'éclairer cette issue.
www.mediapart.fr/club/blog/borist/150409/du-processus-de-bologne-a-la-lru-une-catastrophe-annoncee-conference-video-e(1)
www.eua.be -en anglais-
www.coe.int/t/dg4/highereducation/ehea2010/stakeholderseua_FR.asp -en français-.
Liens utiles :
www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/04/04/966-qu-est-ce-qui-buzze-chez-les-enseignants-chercheurs
http://fr.wikipedia.org/wiki/Processus_de_Bologne
http://fr.wikipedia.org/wiki/Association_des_universit%C3%A9s_europ%C3%A9ennes
http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_europ%C3%A9en_de_transfert_et_d%27accumulation_de_cr%C3%A9dits
http://fr.wikipedia.org/wiki/LOLF
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_aux_libert%C3%A9s_et_responsabilit%C3%A9s_des_universit%C3%A9s
http://fr.wikipedia.org/wiki/Genevi%C3%A8ve_Azam